Jusqu'au dernier souffle - prologue.

Publié le par bureaudesaberrations

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Comme promis, premier "épisode" de cette nouvelle épique: jusqu'au dernier souffle. Un simple prologue, en fait.

La suite n'est pas encore écrite, mais ça devrait arriver plus ou moins rapidement pisque le gros du scénario est déjà sur papier.

 

Bonne lecture!

 

 

Une brise légère secoua les grands drapeaux bleus et or, redressant fièrement les couleurs d’Armanie vers les cieux. Claquant un instant au vent, l’insigne de la Légion, symbole de la toute-puissance  des terres nobles, attira vers elle les regards empreints d’espoir de l’armée rassemblée sur les remparts. À ce moment précis, chaque homme, palefrenier, écuyer, soldat, réserviste, chevalier, noble, jusqu’au roi, gardaient encore au fond de leur cœur toute l’inconscience de la bravoure. Rassemblés en cette place dite invincible qu’était l’Armante, capitale d’Armanie, ville-forteresse réputée imprenable, serrés l’un contre l’autre dans un amas de chaires et de métal, les corps ornés de leurs armures étincelantes, ils semblaient invincibles. Et à les voir ainsi, fiers sous leurs étendards claquant au gré de ce qui était désormais un vent puissant, nul n’aurait songé à mettre en doute leur victoire.

À l’abri derrière une troupe de braves, encerclé par une escorte qui n’avait encore jamais faillit, Kor, roi d’Armanie, embrassa son armée du regard. Comment ne pas éprouver cette fierté inébranlable à la vue de ces dizaines de milliers d’hommes tout de fer vêtus, armés jusqu’aux dents, immobiles sous le ciel impassible des terres nobles ? Plantés droits dans leurs armures, le poing sur le pommeau de l’épée, le regard acéré parcourant la plaine qui s’ouvraient au-delà des créneaux de pierre grise, silencieux et redoutables gardiens de l’humanité, rempart de lances, de flèches et de lames face au chaos. La lame des hommes sur laquelle viendra s’embrocher les armées démoniaques du Seigneur Noir.

Démoniaques…tel était bien le mot pour qualifier ces hordes de monstres, de soldats immondes, immoraux, sortis d’on ne sait quel enfer, armés de gourdins et vêtus de haillons lors des premiers affrontements, surgissant en une masse innombrable des forêts et des marais qui bordent les plaines des hommes, pillant, tuant, violant, saccageant tout sur le passage, en petites frappes. Les premiers à succomber n’avaient étés que groupes de voyageurs isolés, marchands imprudents, coureurs d’aventures malchanceux. Puis les créatures ­­–car on ne pouvait réellement pas qualifier ces êtres bestiaux d’humains– s’étaient attaquées à de plus gros convois, ne laissant sur place que des amoncellements de cadavres, volant armes, or et nourriture. Des chemins peu fréquentés aux grandes routes reliant les citées du royaume, bientôt entreprendre un voyage d’une ville à une autre, même court, relevait d’une témérité folle.

Les sept seigneurs d’Armanie, gardiens des terres et des richesses du roi, avaient mis un temps insensé à réagir. Considérant d’abord ces attaques comme de simples groupes de bandits, ils ne firent que renforcer les gardes des convois et aux abords des villages, plutôt que d’enquêter sur les agissements de ces immondes agresseurs. Cette inertie militaire leur avait été fatale. Ne trouvant dans ce surplus de gardes qu’une source plus alléchante de pillage, les « bandits » avaient déferlés par bataillons entiers dans les villages les plus isolés, frappant vite et fort, brulant les habitations et massacrant sans distinction hommes, vieillards, femmes et enfants, non sans prendre le temps d’un plaisir malsain à travers viols et tortures. Même les bêtes y étaient passées. Ils n’avaient laissés à leur départ que des amas de cadavres noircis par le feu, des chevaux et des troupeaux d’élevage sauvagement massacrés. Et, chaque fois, lorsque les armées des seigneurs concernés arrivaient sur les lieux en renfort, ce n’était que pour constater le carnage, contempler ces visages tordus d’une douleur inimaginable, ces yeux morts fous de terreurs, ces cadavres éventrés, véritable festin pour la horde de charognards qui ne tardaient jamais à s’ameuter dès le départ des assassins.

De simples bandits n’auraient jamais agis ainsi. Attaquer des convois isolés, même escortés, passe encore : l’appât du gain avait déjà aveuglé de folie sanguinaire plus d’un homme. Mais piller ainsi des villages entiers, sans même épargner les bêtes, préférant leur réserver le même sort qu’aux hommes plutôt que de les emmener en guise de provisions ou de richesses ? Une telle attitude ne s’était encore jamais vue en Armanie.

Pourtant les sept seigneurs des terres nobles n’avaient que trop tardé à réagir. Enlisés dans de piètres discours politiques, témoins seulement indirects des atrocités que subissaient leurs peuples, arrogants dirigeants aveuglés par la puissance illusoire de leurs armées, les seigneurs s’étaient oubliés, certains de leur victoire prochaine, reportant chaque jour davantage l’idée d’une expédition punitive. Et tandis que ces irresponsables baignaient dans leur or et leurs innombrables festins, s’offrant orgies et spectacles, joutes et jouissances, les armées de celui que l’on nommait à présent le Seigneur Noir progressaient, toujours plus nombreuses, toujours mieux armées. Ce qui n’était au début qu’une horde de pillards enragés étaient devenue une véritable armée, brandissant les lames volées sur les dépouilles de leurs ennemis, revêtus d’armures de cuir et de métal, récupérées au hasard de leurs pillages ou montées de toutes pièces, le regard vide et mort, les membres comme animés d’une magie sombre et maléfique, une armée d’hommes à l’aspect de cadavres, bien vivants pourtant lorsqu’ils vous tranchaient la gorge d’un revers de dague. L’armée du Seigneur Noir était en marche.

Le roi Kor jeta un regard à la ronde. Outre sa garde rapprochée, l’élite de la Légion d’Armanie, se tenait près de lui quatre des seigneurs des terres nobles. Les trois autres avaient péris lorsque le Seigneur Noir avait marché sur leurs forteresses.

Transis de peur, le regard fou, les traits creusés par la fatigue et les horreurs qu’ils avaient dû affronter pour survivre, ils contrastaient avec la posture fière et arrogante de la Légion. D’aucuns les auraient traités de pleutres, mais Kor ne s’y trompait pas. Ces hommes, aussi insensés qu’eu été leur attitude du temps des premières attaques, avaient vécu ce qu’aucun soldat, pas même le plus ancien des vétérans de son armée, ne pouvait imaginer. L’incendie de terreur qui consumait leurs regards ne pouvait le tromper.

En y regardant de plus près, certains hommes, sur les remparts, avaient la même attitude : le regard fuyant, n’osant s’attarder sur les plaines en contrebas, le dos vouté, comme s’ils supportaient sur leurs larges épaules tout le poids de ces dernières semaines, de ces affrontements sans gloire, ces défaites honteuses, ces victoires déjà oubliées, cette angoisse quotidienne de voir surgir, sans prévenir, les hordes du Seigneur Noir, la gueule écumante d’une rage incompréhensible. Ces hommes, dédaignés des chevaliers de la Légion, n’étaient autres que les rares survivants des attaques qu’avaient essuyés les Seigneurs d’Armanie. Ceux que l’on désignait avec mépris de lâches n’étaient que les plus conscients de ce que la dernière armée des terres nobles s’apprêtait à affronter.

Kor ne pouvait en vouloir à ses hommes de se montrer si fiers. Aucun d’eux n’avait encore affronté les armées du Seigneur Noir. Lors des premières attaques massives, pourtant, le roi avait bien envoyé des bataillons entiers pour ravitailler les forteresses assiégées des seigneurs. Mais ses chevaliers, l’élite de la nation, armée du riche et grandiose état d’Armanie, défenseurs de la justice divine du roi, s’étaient heurtés tout au long de leurs voyages vers les différents fiefs à des attaques d’une rapidité et d’une violence inouïe, des successions d’embuscades qui ne leur avait laissés aucun répit, si bien que rares étaient ceux qui avaient atteint leur but. Les seigneurs des terres nobles n’avaient reçues en guise de renforts qu’une poignée de chevaliers harassés, épuisés par leur voyage et les affrontements multiples, blessés pour la plupart, découragés à la simple vue de l’armée qui se tassait sous les remparts des forteresses. Et aucun de ces braves n’avaient survécus aux assauts du Seigneur Noir.

Aujourd’hui encore, Kor ne parvenait à comprendre comment les choses avaient à ce point empirées. Aucune armée n’aurait du pouvoir affronter ainsi les sept seigneurs d’Armanie sur tous les fronts, les uns après les autres, assiégeant à chaque fois au moins deux forteresses dans le même temps, sévissant par ailleurs dans les plaines et le long des routes afin de couper tout ravitaillement possible. Aucune armée ne pouvait être suffisamment vaste pour accomplir un tel prodige militaire. Comment aurait-elle pu passer inaperçue aux yeux du roi ? D’où venait-elle ? Le pays semblait ravagé de l’intérieur, comme si une armée était brusquement apparue de nulle part, grandissante au fil du temps et de l’insouciance des seigneurs. Lui-même était à blâmer de n’avoir su déceler cette menace plus tôt. Mais Kor avait eu beau se retourner la cervelle, il ne voyait pas d’où venait l’attaque. Le seul pays voisin militairement apte à mener une telle offensive avait été défait il y a de cela une décennie : les terres barbares du nord, en Dirmanie. Kor balaya d’un geste cette pensée. Les peuples du nord et des terres nobles s’étaient longtemps affrontés, mais Armanie avait gagnée la guerre, et le conflit avait débouché sur un semblant de paix méfiante mais acquise. Malgré les rumeurs et l’assurance des seigneurs vaincus qui les désignaient d’office comme coupables, il ne pouvait croire à de telles divagations.

Une voix rocailleuse le tira de ses pensées.

– Sire. Ils approchent.

Sans un regard pour le chevalier qui venait d’annoncer les souffrances et les horreurs à venir, le roi s’avança vers les remparts d’un pas lent, mais décidé. Son escorte ainsi que les quatre derniers seigneurs des terres nobles l’accompagnèrent, ces derniers abordant une allure plus hésitante, presque craintive.

Lorsque le roi approcha la rangée d’archers de la Légion, deux d’entre eux vinrent se porter à sa rencontre, mettant immédiatement genou à terre.

– Monseigneur, il n’est pas prudent d’approcher davantage, souffla l’un deux.

Kor dédaigna l’avertissement. En quelques pas, il rejoignit ses hommes. Chacun avait encoché une flèche à leur arc. Plus loin, sur les tours est et ouest, des bataillons entiers d’arbalestiers avaient déjà formés leurs rangs. En jetant un regard en contrebas vers les remparts inférieurs, le roi vit d’autres archers se préparer au combat. Les premiers affrontements ne dépendraient que d’eux, tandis que les épéistes et lanciers devraient se contenter, impuissants, de se protéger des traits ennemis sous leurs épais boucliers.

Le regard du roi se porta vers la plaine.

Ils étaient là.

Une armée plus immense que tout ce qu’il aurait pu imaginer. De l’est à l’ouest, s’étendant en une ligne d’horizon noire de mauvais présages, l’armée du Seigneur Noir approchait. On entendait d’ici le pas pesant de ces fauves humains, le battement des tambours rythmant leur marche, les rugissements inconcevables de leurs capitaines et des généraux. Et, pire encore que cette masse uniforme de chaires, de métal et de haine, avançaient en première ligne des créatures plus effrayantes encore, mille fois plus terrible que les plus dangereux de leurs soldats.

Les démons du Seigneur Noir.

Là-haut, si proche des cieux, les fiers étendards d’Armanie hoquetèrent de surprise. Le vent changeait de camp, et ils retombèrent, flasques et immobiles, après quelques derniers soubresauts. Le royaume des hommes sombrerait sans qu’on ne puisse seulement voir claquer leurs bannières auprès de Dieu.

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